Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc
Nom d’usage : Jeanne d’Arc
Lieu de naissance : Vosges (88)
Sexe : féminin au départ, celui des anges à l'arrivée
Age : 600 ans
Situation : pucelle, martyr, canonisée
Carrière : figure de proue
Avec son état civil hors du commun, Jeanne d’Arc a traversé le temps, figée dans l’éclat de son innocence, de son courage et de son martyr qui ont tour à tour ciselé sa légende, la fable de son épopée, et aujourd’hui aussi -hélas-, le fond d’un commerce politicien qui fait son miel de sa « pureté » en croyant se refaire annuellement une virginité.
Ce type de récupération politique est malheureusement un basculement classique. Il menace les grands visages de notre mythologie nationale toutes les fois que notre système éducatif abandonne son canal de transmission légitime. La polémique sur le génocide arménien et, au-delà, sur la condamnation des révisionnismes, en est la plus récente illustration.
Ainsi donc, ces vingt dernières années, l’histoire de Jeanne d’Arc s’est écrite sous la dictée du Front National qui n’a pas hésité à tremper sa plume dans une encre peu sympathique ; au point de dénier aujourd’hui au Président de la République lui-même la légitimité d’une simple commémoration !
Tout le débat est là : qui doit écrire l’histoire et que doit-on en retenir pour que les futures générations aient à la fois la « tête bien faite et bien pleine » de discernement qui, en affûtant l’esprit, la connaissance et la curiosité, fera les citoyens responsables de demain ?
L’histoire ne s’apprend plus parce qu’elle ne se fait plus. Ou si peu (on « chronique » désormais). Nos enfants savent-ils tous par exemple qu’Henry IV n’avait pas qu’un panache blanc et une poule au pot ? Son plus grand mérite et son talent le plus durable ont été l’exemple de sa gestion stratégique des guerres de religions que se livraient déjà des « factions » ennemies au nom de la fraternité entre les hommes ; cette fameuse messe à laquelle il a consenti, parce que Paris le « vaut bien », a modelé la France jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV.
Quoi qu’il en soit, soyons lucides, les personnages de l’histoire restent une glaise malléable dans l’atelier des sculpteurs politiques. Certains n’hésiteront pas à retoucher les visages pour s’approprier les légendes.
Alors, que cela soit fait à tout le moins dans un esprit républicain et présenté sans hypocrisie comme une action – nécessaire – de construction de l’identité nationale, dans une dynamique fédératrice, pour rassembler les Français d’aujourd’hui autour d’une figure du passé, dont les vertus exaltées ont valeur d’exemple au présent. C’est le sens des gloires nationales.
C’est le sens, la pertinence et la légitimité de l’hommage rendu ce jour par le Président de la République, qui a tellement raison de ne pas abandonner Jeanne d’Arc à un parti politique.
Que reste-t-il de l’héroïne un tiers pucelle, un tiers soldat, un tiers sorcière et… un tiers martyr (ce qui fait beaucoup pour une seule personne, auraient pu écrire Vialatte ou Desproges) ?
Cette plénitude héroïque de Jeanne d'Arc connaîtra son aboutissement abolu dans la sainteté, une sainteté populaire. Puisque, pour couronner en quelque sorte son martyr sacrificiel et sa virginité, c'est sa canonisation qui lui a attribué a posteriori sa dimension bien au-delà de l'agitation de son temps.
Une dimension qui en fait une icône populaire jusqu'à considérer comme Michelet que "Jeanne d'Arc est un ange qui est le peuple, il est faible, il est nous, il est tout le monde." L'épopée de Jeanne annonce selon lui le rôle du peuple pendant la Révolution. Elle préfigure la prise de la Bastille.
Ne la condamnons donc pas à être la figure de proue d’un parti politique, en l’occurrence le Front national, ce qui de surcroît serait à la fois anachronique et antithétique.
Anachronique car à l’époque, la nation n’avait encore ni nom ni conscience. Nous parlions de royaume et les fidélités se portaient sur la personne du roi. Nous étions encore bien loin de
La récupération est également antithétique, car s’il est un fil trompeur que le Front national tisse aujourd’hui jusqu’à l’excès, c’est bien celui d’un patriotisme dévoyé. Or, la figure républicaine de Jeanne d’Arc est patriote, pas nationaliste. Le patriotisme – terme lui aussi à ne pas laisser préempter par le Front national – est l’amour de sa patrie, quand le nationalisme devient le rejet des autres. Ce n’est pas qu’un détail, c’est un clivage éthique et moral majeur qui révèle l’enjeu des mots derrière celui de l’histoire.
Fort heureusement, des historiens, des écrivains, des enseignants et des politiques responsables n’abandonnent pas Jeanne d’Arc à un tête à tête avec l’extrême droite. Elle constitue ainsi un emblème, entre légende et récit historique, devenu le creuset de notre conscience nationale. A nous d’en donner un éclairage lumineux en choisissant le « grand angle ». Celui d’une destinée collective à toujours réinventer de façon positive : la destinée de la France.
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8 Commentaires
Jean-Philippe GREGOIRE 9 janvier 2012 - 13 h 41 min
Béatifiée en 1909 et canonisée en 1920 (oui, bien 1920) après une campagne de l'extrême droite française de l'époque, déjà.
Pauvre Jeanne.
Sébastien Copin 14 janvier 2012 - 22 h 31 min
Merci Monsieur Lisnard d’évoquer ici l’extraordinaire destin de Jeanne d’Arc et de permettre ainsi à vos nombreux amis de s’approprier ce symbole national. Merci à notre Président de la République de penser un peu à notre Histoire au moment où il hypothèque notre avenir.
Quelques précisions cependant !
Le Front National a-t-il « récupéré » Jeanne d’Arc ? Pas plus que l’ex-RPR n’a récupéré le Général de Gaulle ou le PS Jean Jaurès, chacun trouvant dans l’Histoire le personnage ou les événements susceptibles de traduire le plus précisément possible une vision idéalisée de sa patrie. En l’occurrence, il serait plus juste d’utiliser le terme récupération pour qualifier votre attitude et celle de Nicolas Sarkosy. Nous rendrons hommage à Jeanne l’année prochaine et les années qui suivront – avec ou sans vous – pour rappeler à nos compatriotes que rien n’est jamais perdu et qu’il faut savoir garder l’espoir. Avez-vous quelque chose contre cela ?
Le Front National aurait-il dénié au Président de la République la légitimité d’une simple commémoration ? S’il fallait évidemment attirer l’attention des Français sur le caractère inhabituel d’une telle démarche de la part d’un gouvernement plus habitué à la repentance, Jean Marie Le Pen n’a pas hésité à la présenter dans les médias comme normale en soulignant que Monsieur Sarkosy était dans son rôle.
Enfin, Monsieur Lisnard, vous avez raison quand vous affirmez le patriotisme de Jeanne d’Arc mais vous induisez vos lecteurs en erreur en l’opposant au nationalisme que vous imaginez seulement belliqueux et xénophobe quand il peut être aussi – selon le dictionnaire Larousse – l’affirmation de la prééminence de l’intérêt de la nation par rapport aux intérêts des groupes, des classes, des individus qui la constituent.
Le but n’est-il pas de provoquer la confusion en utilisant un mot qui dans l’histoire est fortement connoté ?
La droite nationale actuelle condamne fermement toute idée d’expansion par la force et s’évertue à dissocier les questions liées à l’immigration de celles relatives à la dignité des personnes et vous le savez. Mais vous continuerez, campagne oblige, à accuser le FN de tous les maux. Il y a pourtant une chose que vous ne pourrez nous attribuer, une chose que vous portez – vous et vos amis – comme une tache : c’est l’état de notre pays…
Michel 16 janvier 2012 - 8 h 45 min
Je me permets d’entrer dans cette correspondance avec Monsieur Lisnard (c’est le principe des commentaires de blog) et de citer ici le Général de Gaulle : « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » ou encore la paraphrase du romancier Romain Gary : « le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres. »
Être patriote ne signifie donc pas être nationaliste. Et je ne peux croire que la nuance vous échappe Monsieur Copin.
Votre mouvement est profondément national. Son nom suffit à le démontrer tout comme les propositions de son leader en campagne ou le récent propos de son président honoraire sur I>Télé qui déclarait la semaine dernière dans l’émission Elysée 2012 : « nous n’avons pas honte d’être nationalistes ». Vous sonneriez donc plus juste en assumant un nationalisme décomplexé plutôt qu’en claironnant un patriotisme offensé.
Car l’histoire de Jeanne d’Arc face aux Anglais, c’est celle des poilus de 14-18 face aux Allemands ou celle des résistants de 39-45 face aux nazis et aux fascistes. C’est l’histoire d’un peuple attaché à sa liberté qui n’entend demeurer sous le joug d’aucun occupant.
Irez-vous dire de ces hommes et de ces femmes que, pour avoir exalté l’amour de la France, le courage, la lutte, l’honneur et le sacrifice au risque de leur propre vie et de celle de leurs proches, ils étaient tous des nationalistes ? Vous en insulteriez un grand nombre, sinon la totalité. Vous insulteriez toutes celles et tous ceux qui ont été déportés, gazés et exterminés dans les camps pour leurs convictions ou avoir choisi de défendre l’intégrité de la France et sa liberté.
L’histoire de Jeanne d’Arc, étroitement liée à celle de la France et donc de tous les Français, qu’ils soient de gauche, de droite, du centre ou des extrêmes, qu’ils soient chrétiens ou non, n’est donc pas une caution au nationalisme mais bien l’expression du patriotisme.
Voilà pourquoi Eva Joly a tort de présenter Jeanne d’Arc comme un « symbole ultra-nationaliste », voilà pourquoi le Front National a tort de se draper de ses mérites et de sa gloire.
L’histoire de Jeanne d’Arc, par les vertus qu’elle honore, est universelle, comme la France l’est aussi, particulièrement lorsqu’elle sort de ses carcans partisans et qu'elle se retrouve dans l'unité patriotique pour sortir victorieuse de ses épreuves et de l'adversité. La France n'a jamais gagné dans ses déchirements internes. N'y contribuez donc pas.
Sébastien Copin FN 16 janvier 2012 - 22 h 24 min
Monsieur, j’aurais aimé ne pas avoir à répondre aux sempiternels arguments invoqués par les adversaires du Front National dont le réflexe pavlovien consiste à voir en chacun de nos militants une personne remplie de haine. Mais la politique consiste aussi à répéter…
D’une part, la nuance évoquée ne m’a pas échappé dans cette réflexion sur le nationalisme et le patriotisme ; mon propos vise simplement à montrer à Monsieur Lisnard et à ses lecteurs la complémentarité de ces deux idées qui ne lui semblent pas compatibles. La définition tirée du Petit Larousse que je cite en pose la possibilité et vous conviendrez que complémentaire ne signifie pas synonyme. A ce titre et pour reprendre les exemples de Monsieur Lisnard, c’est le patriotisme qui a poussé Jeanne d’Arc à tenter de chasser l’occupant mais c’est déjà une forme de sentiment nationaliste qui aiguillonné Henri IV (et non Henry !) lorsqu’il s’est agit de préserver l’intérêt du royaume contre celui des « factions ». Vous admettrez aussi que je ne présente pas Jeanne d’Arc comme une nationaliste et que si le Front National en fait un symbole cela ne signifie pas qu’il en revendique la propriété exclusive.
D’autre part, je vous avoue ne pas me sentir lié par les citations du Général de Gaulle et de Romain Gary. Certaines petites phrases du premier ne pourraient être écrites ici et la paraphrase du second est anachronique. L’utilisation que vous faites de ces citations est d’ailleurs dangereusement insidieuse. Le syllogisme « les nationalistes haïssent les étrangers, or les militants du FN sont nationalistes, donc les militants du FN haïssent les étrangers » semble poindre derrière vos propos et c’est ce genre de logique qui conduit aujourd’hui certains de nos concitoyens à nous considérer comme des fascistes ou des nazis. Et cette haine supposée que vous condamnez chez le militant du FN, vous la provoquez peu à peu contre lui…
Le seul nationalisme décomplexé que nous assumons et revendiquons est celui de la prééminence des intérêts de la nation sur les intérêts particuliers ; il n’est ni belliqueux ni haineux ; il découle de notre patriotisme.
Enfin Monsieur, vous conviendrez qu’il peut être difficile pour une personne de ma génération ayant mon parcours de se voir opposer sans cesse les horreurs du nazisme. Faut-il que vous ayez oublié à quoi elles correspondent pour oser aujourd’hui encore comparer le militantisme du FN à cette barbarie ?
Sébastien Copin FN 16 janvier 2012 - 22 h 41 min
Il faut lire bien sûr "qui a aiguillonné Henri IV lorsqu'il s'est agi…" et non " qui aiguillonné Henri IV lorsqu'il s'est agit…". Il serait dommage que de telles fautes viennent perturber les lecteurs! Monsieur Lisnard aura peut-être la bonté de corriger avant diffusion?
valérie 17 janvier 2012 - 21 h 09 min
Qu'un parti politique décide d'exalter un pan particulier de notre épopée nationale, après tout pourquoi pas si cela peut permettre d'alimenter la mémoire de notre histoire et de personnages qui en ont écrit les pages les plus glorieuses. Pourquoi pas non plus, si cela contribue à faire vivre des repères fondateurs et structurants. Sauf que dans le cas du front national, l'approche est un acte d'accaparation exclusive et tendancieuse. Si la propagande est défendable pour faire passer ses idées, elle devient dangereuse et fragilise même l'unité nationale quand elle s'appuie sur l'histoire en y focalisant à tort un regard contemporain pour finalement instrumentaliser nos héros.
En ce sens je vois deux dangers majeurs au mode opératoire du Front national. Tout d'abord, une captation d'héritage. Jeanne d'Arc appartient aux Français et, comme le dit David Lisnard, "préempter" son mythe au point de dénier au Président de la République, le droit d'en célébrer l'anniversaire, revient à rabaisser la fonction présidentielle à celle d'un chef de parti et finalement à entacher le mythe qu'on prétend défendre, en en faisant un "marqueur" porteur de divisions nationales. Ensuite, je trouve le raisonnement un peu court et c'est en cela que ce choix et la façon de le porter pose problème. En effet, pourquoi s'en tenir à Jeanne d'Arc et pourquoi de cette façon. La question est plus vaste et mérite mieux qu'une manipulation politicienne. Combat pour combat, que le Front national mène celui d'une réhabilitation complète de tous nos grands personnages, des grandes figures emblématiques qui de proche en proche ont dessiné le visage de la France d'aujourd'hui. Elargissons le panthéon national, et posons la vraie question de qui et comment il est enseigné. David Lisnard l'a esquissé dans son papier. Ne considérons plus l'enseignement de l'histoire comme "un moyen de tailler le passé la mesure des engouements du moment" ainsi que l'expose magistralement Jean Sevilla dans l'introduction de son ouvrage Historiquement incorrect (Fayard). Dans ce registre, le Front national partage avec la gauche la même tentation et la même tendance irrépressible qui consistent à malaxer la mémoire, à la sélectionner et à la raconter à la lumière de l'idéologie partisane. Il faut beaucoup de hauteur, beaucoup de recul et une certaine "épaisseur" pour ne pas se laisser aller à son penchant naturel lorsque l'on forme les esprits. On en revient à la responsabilité.
Alors, que nos chères têtes soient blondes, rousses, brunes ou teintes, faisons d'abord en sorte qu'elles disposent d'un niveau égal et suffisant de connaissances objectives et factuelles. Charge ensuite à chacun de choisir son camp…ou pas car la République française est une et indivisible.
valérie 17 janvier 2012 - 21 h 29 min
Monsieur Copin a raison d'être attentif à l'orthographe et à la conjugaison. D'après ce que j'en ai compris, l'"agi" dont il s'agit renvoie au verbe agir lui même lié à la notion d'action. Rien à voir donc par exemple avec son voisin "agiter" qui renvoie, lui, à la notion d'agitation, source en effet de perturbation pour le lecteur; ce que Monsieur Copin a aussi raison de vouloir éviter à tout prix.
Sébastien Copin FN 18 janvier 2012 - 8 h 18 min
J’aurais pu, Madame, tenir les mêmes propos si je n’avais été membre du Front National. Nous ne divergeons, selon moi, que sur les intentions que vous nous prêtez.
Cette situation évoque pour moi cette réflexion de Diderot dans Jacques le fataliste : « Si l’on ne dit presque rien dans ce monde qui soit entendu comme on le dit, il y a bien pis, c’est qu’on n’y fait presque rien qui soit jugé comme on l’a fait ».