Présidentielle : les deux défis capitaux

Après les effroyables tueries de Montauban et Toulouse qui laissent une meurtrissure morale, la campagne électorale a repris. Il y a évidemment un avant et un après. Faisons en sorte que celui-ci porte aussi sur les enjeux les plus structurants, les plus importants des prochaines années. Or, ces enjeux ne sont pas forcément ceux qui prévalaient jusqu’alors dans le champ médiatique électoral.

Dans une éthique de responsabilité, le débat doit permettre une prise de conscience collective sur le défi économique et écologique qu’il nous faut affronter.

Le choix par les électeurs du Chef de l’État constitue le rendez-vous majeur de notre vie démocratique. C’est encore plus vrai depuis l’adoption du quinquennat et du calendrier électoral qui fait succéder les législatives à la présidentielle. En cette année 2012, au regard de la violence des chocs économiques et sociaux qu’affronte notre continent et du changement d’équilibre international que nous vivons avec l’installation d’un monde multipolaire, le désignation de« la bonne personne au bon poste », au sommet de nos institutions, en l’occurrence d’un individu de caractère, susceptible d’adapter notre pays à son époque et d’incarner la France, revêt un enjeu particulier et s’inscrit dans une dramatique exacerbée.

De façon liminaire, pour que les choses soient claires et le lecteur averti, la comparaison des candidats me confirme dans mon choix en faveur de l’actuel Président de la République, dont j’ai la conviction forte est qu’il est le plus réformiste, le plus compétent et le plus courageux de ceux qui se présentent le 22 avril au suffrage des Français.

Le choc des personnalités a bien lieu, il ne manque ni de piquant, ni d’intérêt.

Des propositions sont avancées, elles méritent attention et, pour certaines adhésion.

Des valeurs sont exposées, elles sont indispensables à la vitalité républicaine.

Pourtant, cela ne saurait suffire, loin de là, à construire le choix démocratique le plus pertinent possible.

Les dernières semaines de cette campagne cruciale constitueront aussi, d’aucuns diraient avant tout, l’opportunité d’affirmer une prise de conscience collective à l’égard des défis qu’il nous faut affronter dans l’intérêt de la nation, de notre société, de nos enfants.

Le Président de la République et sa majorité auront à relever comme rarement dans notre histoire de grands défis structurels. Ils nécessitent des mesures qui à la fois sont simples et renvoient à une pensée complexe. C’est bien le cas pour les deux défis capitaux que nous posons ici : le défi économique et social d’une part, le défi environnemental d’autre part.

Ils ne couvrent pas évidemment tout le champ du débat électoral nécessaire. Les questions d’éducation, d’immigration, de citoyenneté, de sécurité, de santé, entre autres, ont toute leur place. Mais d’une part celles-ci sont régulièrement évoquées, d’autre part elles arrivent après les fondamentaux économiques, qui conditionnent les ressources dont disposent l’Etat et les ménages (pouvoir d’achat),  et écologiques, qui remettent en cause l’organisation même à terme de notre contrat économique et social.

Si les citoyens n’ont pas à l’esprit l’acuité des risques encourus, ou s’endorment dans le conformisme, voire se contentent de revendiquer pour défendre des avantages acquis devenus insoutenables et illégitimes, notre pays ne s’en relèvera pas.

Si, en revanche, dans le cadre d’un débat démocratique apaisé, rationnel, partagé, chacun s’empare de ces problématiques pour orienter en responsabilité son vote, la France peut être la nation de la vieille Europe à rebondir avec le plus de force, grâce à ses atouts que constituent notamment sa démographie, sa créativité, la qualité de ses infrastructures, la richesse de son histoire comme de son patrimoine et la beauté de ses paysages, l’énergie de sa jeunesse, la modernité de son universalisme, la solidité de ses valeurs héritées de sa culture gréco-romaine, judéo-chrétienne, libérale, l’audace de ses chefs d’entreprises, son ouverture à la diversité, ses savoir-faire et l’esprit entrepreneurial qui en fait une grande puissance internationale.

Le défi économique

Le défi économique et social, tout d’abord, se décompose lui-même en deux ardentes obligations concomitantes et urgentes :

  • désendetter la puissance publique
  • rétablir le commerce extérieur.

La difficulté est mesurable en milliards d’euros avec une dette publique d’environ mille sept cents milliards d’euros, qui représente 81% du PIB, c’est-à-dire de la richesse produite annuellement sur le territoire (contre 21% en 1980). Circonstance aggravante, le surendettement de la puissance publique s’est fait parallèlement à l’augmentation des prélèvements obligatoires (impôts et charges), ce qui constitue un pervers paradoxe. Ils atteignent aujourd’hui un taux record de 47% du PIB.

Cette réalité, cruelle, incontournable, signifie simplement que le modèle de l’État providence qui nous fait vivre à crédit sur le plan public est à bout de souffle, qu’il faut réduire la dépense publique de façon intelligente c’est-à-dire en limitant le périmètre d’intervention de la sphère administrative. Cette vérité n’est hélas pas entendue par les contempteurs de la mondialisation qui, souvent par facilité, par flatterie électorale, refusent d’affirmer que les problèmes viennent plus de nous que des autres.

Dès lors, chaque candidat doit proposer aux Français des mesures concrètes sur ce point (tout le contraire de ce que fait François Hollande avec une surcharge de quarante-cinq milliards d’euros de prélèvements et de dépenses supplémentaires). Les exemples canadiens, scandinaves, bientôt italiens, peuvent fournir une heureuse source d’inspiration, de même que les rapports de la Cour des Comptes.

Une telle approche aurait comme conséquence vertueuse non seulement de rétablir les comptes publics, mais aussi de stimuler la vitalité de la société civile et de permettre de futures baisses des prélèvements obligatoires, donc de renforcer la compétitivité de la France, au profit de la création de richesses et d’emplois.

C’est en cela que le deuxième objectif économique vital, celui du redressement du commerce extérieur, n’est pas incompatible, bien au contraire, avec celui de l’assainissement des finances publiques. Le commerce extérieur de la France, en raison il est vrai du surenchérissement structurel du coût des énergies fossiles et en particulier du pétrole, a atteint un déficit record de soixante-dix milliards d’euros en 2011, malgré les bonnes mesures engagées ces dernières années pour soutenir nos entreprises.

Pour régler cette contradiction du surendettement de la puissance publique et du taux, également record, des prélèvements obligatoires qui plombe la compétitivité des entreprises et donc porte atteinte au solde du commerce extérieur, il est là aussi nécessaire d’insister sur la baisse plus que souhaitable de la dépense publique non productive et d’engager une politique durable de l’offre. C’est pour cela qu’il serait catastrophique d’interrompre le processus de réorientation du système des prélèvements fiscaux et sociaux engagé par Nicolas Sarkozy, avec un allègement des charges qui pèsent sur le travail et un transfert du coût vers la fiscalité générale.

L’objectif est en effet de renforcer les trois facteurs de production que sont l’emploi – ou travail  -, l’investissement – ou capital -, l’environnement au sens large dans lequel évolue l’entreprise – ou externalités. Il est vital ainsi d’améliorer la compétitivité du travail, celle du capital (ce qui incite à se méfier de la démagogie sur la taxation du capital ; il faut surtout que l’épargne des Français, traditionnellement orientée vers la pierre et l’État, se destine beaucoup plus à l’appareil productif) et toutes les externalités positives (formation, transports, logement pour actifs, animation des territoires, etc) qui rendent un pays plus tonique, innovant et attractif sur le plan économique.

Pour une politique durable de l’offre

Des mesures positives et importantes ont été prises ces dernières années, telles la défiscalisation des heures supplémentaires qui a profité à la fois à la compétitivité-travail des entreprises et au pouvoir d’achat des salariés, sans obérer les finances publiques puisqu’il s’agissait de flux de travail supplémentaire (même si bien sûr des effets d’aubaine ont pu s’avérer), le crédit impôt recherche, l’autonomie et le renforcement des moyens des Universités, les investissements d’avenir dans le cadre du grand emprunt sous l’autorité de René Ricol, le lancement du Grand Paris dont on ne parle hélas pas assez et qui correspond à une nécessaire ambition d’attractivité territoriale française, le développement des pôles de compétitivité pour stimuler l’avènement d’une économie créative, la réforme de la taxe professionnelle qui s’est traduite concrètement pas six milliards d’euros de prélèvements en moins sur les entreprises, notamment industrielles, la réforme des retraites qui a permis de sauver pour plusieurs années le régime par répartition en évitant des prélèvements sociaux supplémentaires, la TVA dite anti-délocalisation prévue pour les prochains mois.

Toutes ces dispositions renforcent indéniablement la compétitivité globale de la France. Beaucoup de leurs effets bénéfiques ne sont pas immédiatement perceptibles.

La compétitivité-prix et la compétitivité-qualité, dans le cadre d’une politique de l’offre globale et durable, doivent être renforcées au cours du prochain mandat présidentiel. Or, c’est manifestement Nicolas Sarkozy qui aujourd’hui répond le plus à cette exigence.

Son travail progressif de déplacement de la pesanteur des prélèvements, en transférant les plus pénalisants pour le tissu économique et social vers le budget général, doit continuer. Avec pour objectif à terme aussi de diminuer ce montant global des prélèvements obligatoires ; parce qu’il n’y a pas de liberté sans souveraineté, de souveraineté sans indépendance, d’indépendance sans une économie forte, d’économie forte sans entreprises compétitives, d’entreprises compétitives dans un pays « surfiscalisé » et suradministré.

Les talents entrepreneuriaux et les forces créatives doivent trouver en France un terrain favorable pour se développer, faire face à la concurrence étrangère et conquérir les marchés de demain.

« L’économie verte » s’inscrit parmi les nouveaux horizons économiques porteurs de croissance qui exigent une filière française capable d’affronter la compétition mondiale. Du point de vue de la demande, le choix du consommateur et de l’investisseur intègre de plus en plus le respect des critères environnementaux (souvent labellisés), composantes dés lors de l’attractivité des territoires et de la compétitivité des produits.

Mais la problématique écologique est bien plus vaste et lourde de sens. 

Le défi écologique

Le défi n’est pas simplement économique et social, il est également civilisationnel. Il consiste en effet, à l’échelle du globe, à sortir de la dépendance au pétrole et aux énergies fossiles pour sauver rien de moins que la planète et l’espèce humaine. C’est bien un défi structurel et vital, immédiat et durable dont il s’agit : celui de l’exigence écologique.

Puisque les écologistes ont précisément abandonné le terrain de l’environnement pour un dogmatisme partisan qui les met en concurrence avec Madame Arthaud et Monsieur Poutou, il faut s’occuper de la menace qui pèse sur notre planète et l’humanité, reléguée au second rang de notre attention en raison de la crise économique et des difficultés, parfois des drames humains immédiats, qu’elle engendre.

La grande question qui peut « mettre tout le monde d’accord » est celle de l’énergie, en liant le rapport à l’utilisation de la planète au rapport à l’économie (c’est-à-dire à la création de valeur et à son partage). A titre d’exemple, la facture énergétique de la France a augmentée 32% en 2011 par rapport à 2010, en atteignant 61,4 milliards d’euros en raison de l’augmentation du cours du pétrole, dont le cours a atteint les cent onze dollars le baril (et la hausse s’amplifie en 2012). Cette facture énergétique de l’hexagone a représenté 3,1% du PIB en 2011 contre 2,5% en 2010.

Il y a par conséquent une nécessité économique de remettre en cause le modèle de développement fondé sur les énergies fossiles en général, le pétrole en particulier, dont en outre le tarissement est aujourd’hui une perspective planifiée.

Nécessité écologique aussi, évidement. L’année 2011 aura permis de sortir des polémiques sur les travaux du GIEC et de conclure que, si bien sûr il reste une marge d’erreurs dans lesdits travaux, le réchauffement climatique accéléré constitue une réalité, qui dépend au moins en partie des activités humaines. Le seuil problématique des 2 degrés centigrade de température supplémentaire habituellement évoqué, déjà sources de nombreux bouleversements potentiellement dramatiques, semble difficile à contenir à terme. En effet, la teneur atmosphérique de CO2, qui depuis des milliers d’années garantit un équilibre climatique vertueux pour la vie sur la planète, est passée en moins de cent ans de son taux stable de 270 ppm (partie par million) à 380 ppm.

Le modèle du développement basé sur l’énergie fossile est donc « au bout du bout ». Pourtant, qui aujourd’hui dans le débat public le remet sérieusement en cause auprès du grand public ? Quels seront la politique et le message de la France sur les actions fondamentales à engager dans ce registre ?

Nouvelle conscience, nouvelle énergie, nouvelle société ?

Ne laissons pas ces questions aux écologistes malthusiens, qui d’ailleurs les ont abandonnées en préférant faire de l’épicerie politicienne et en s’enfermant dans un discours gauchiste d’un autre âge.

La dépendance énergétique de la croissance, le tarissement des réserves de pétrole, donc le surenchérissement exponentiel des coûts de revient qui menace toute l’activité économique, le développement en Chine d’autres énergies encore plus polluantes telles le charbon, la précarité énergétique croissante de familles entières dans nos pays dits riches (13% en France des ménages sont dans cette situation de précarité énergétique, en habitant dans des logements mal isolés et donc souvent polluants et ayant du mal à régler les factures de chauffage), le caractère de plus en plus obsolète du développement périurbain pavillonnaire, qui avait placé l’automobile au cœur du « modèle de mode de vie » et concrètement de la vie quotidienne, soulignent l’ardente nécessité démocratique de poser ce débat et d’en faire une préoccupation citoyenne majeure.

Une conscience mondiale s’en empare. Elle émerge et se développe, notamment via Internet et les réseaux sociaux, et instaure une nouvelle démocratie horizontale.

Ce débat doit avoir lieu aussi en France ; il est le préalable sine qua non pour que des décisions à la fois radicales et acceptées, car acceptables et porteuses d’espoir, soient prises.

Là encore, le mandat présidentiel qui s’achève a fourni des avancées considérables, trop tues. Elles se concentrent et s’incarnent dans le Grenelle de l’environnement, à la fois par sa méthode collaborative d’élaboration et par les dispositions législatives qui en ont découlées.

Mais il s’agit d’une goutte d’eau – décisive car initiatrice – dans un océan de politiques publiques à engager à l’échelle planétaire pour sortir de la spirale destructrice dans laquelle nous sommes et assurer la survie de l’espèce humaine, selon un nouveau rapport à la nature.

L’échéance environnementale renvoie à toutes les problématiques, les difficultés, les enjeux de la politique au 21ème siècle :

  • elle est mondiale, car elle nécessite des mesures coordonnées sur tout le globe ;
  • elle contredit nombre de paradigmes économiques et juridiques dans lesquels nous vivons (elle pose par exemple la question du « droit d’ingérence environnementale ») ;
  • elle exige des négociations équilibrées entre grands pôles politiques régionaux et passe par l’avènement d’une nouvelle diplomatie ;
  • elle souligne ainsi la nécessité d’une Europe politique capable de proposer et d’obtenir de la Chine, de l’Inde, des États-Unis, de la Russie, des mesures fortes et partagées, dont des normes environnementales mondiales, contrôlées, avec des sanctions réelles et appliquées.

Cette approche, qui semble aussi utopique que nécessaire, suffirait-elle à sauver la planète et notre espèce ? Le salut de notre espèce ne viendra-t-il pas d’une sorte d’application de la réalité augmentée à l’homme, qui choisirait alors pour sa survie de devenir mutant, en s’adaptant de façon accélérée à la nouvelle donne climatique et écologique qu’il a lui-même provoquée ? La question n’est pas farfelue, l’hypothèse n’est pas fantaisiste. Des scientifiques et penseurs dits « transhumanistes » y travaillent sans relâche, notamment en Californie, dans les domaines des nanotechnologies, de la cybernétique, des neurosciences, des biotechnologies, etc. Avec de nombreuses dérives, de nombreux dangers potentiels.

Attention donc, ces interrogations ne sont ni virtuelles, ni neutres. Elles devraient être abordées au cours du débat de la principale échéance politique française. Car elles sont, par essence, politiques. Elles renvoient à la vision de l’organisation de la société, aux questions de bioéthique, au rapport à la vie, à l’autre, à la conception même de l’homme.

Pour le dire autrement, l’enjeu environnemental est si fort qu’il produira non seulement de nouvelles politiques publiques, mais aussi une nouvelle éthique, une nouvelle morale, bref une nouvelle philosophie et certainement une nouvelle religiosité. Un nouveau paradigme pour et par un nouveau monde. Tentons d’en être les artisans plutôt que les victimes.

Sinon, vous mangez hallal ou pas ?

David Lisnard, mercredi 28 mars 2012

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28 mars 2012 - 16 h 18 min

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