Savoir regarder ses enfants partir. Notes sur la « parentalité »
J’ai eu à ouvrir la conférence de la « journée de la parentalité » organisée samedi 26 mars par la Ville de Cannes. Conformément à la teneur d’échanges sur Twitter, je vous livre les quelques notes personnelles que j’avais rédigées le matin pour préparer ma prise de parole, avant de laisser les experts s’exprimer :
« J’ai l’impression que l’on passe sa vie à être enfant de quelqu’un puis parent de quelqu’un d’autre.
S’interroger sur le fait d' »être parent » renvoie à la relation entre les adultes et leurs enfants. Poser cette relation en termes de parentalité, c’est aussi en faire une question collective, sociale, et même sociétale. C’est ce qui distingue d’ailleurs le néologisme de « parentalité » du terme de « parenté », qui couvre la fonction biologique des géniteurs et le lien génétique de filiation.
Car la parentalité est bien au cœur d’enjeux sociétaux majeurs : non simplement perpétuation de l’espèce, mais transmission de valeurs, de codes, éducation, rapport à l’autre, construction d’une identité, tout simplement d’une société dont la solidité – c’est-à-dire la maturité (et inversement) – dépendra des individus qui la composent.
C’est pourquoi une telle réflexion est essentielle et la municipalité a décidé d’organiser cette journée, placée sous la présidence de Jean-François Mattei, philosophe dont chaque intervention nous aide à être meilleurs.
La parentalité, la Ville de Cannes l’aborde déjà, directement et indirectement, par des actions aussi concrètes et innovantes que l’instauration depuis cinq ans des contrats de famille (196 contrats de familles ont été signés pour 315 enfants, accompagnés sur le plan scolaire, sportif, culturel, ludique, etc, sur la base de contrats de responsabilité), d’un espace d’expression nommé la Ruche pour la « Parole des parents », d’un lieu d’écoute et d’accueil des adolescents – la Chrysalide -, de jardins potagers partagés, de sorties familiales, d’ateliers parents/enfants, etc. Avec bien sûr comme fil rouge la lutte contre l’absentéisme scolaire, les échanges d’expériences entre parents, la mise en relations de parents qui peuvent se sentir perdus avec des adultes d’expérience, professionnels et bénévoles du tissu associatif. Cette liste n’est pas exhaustive.
Elle révèle notre approche volontariste mais aussi un mal être social dont l’étrange vocable « école de parents » est à mon sens le révélateur sémantique un peu par l’absurde.
Vous l’avez compris, je m’exprime à la fois comme père et gestionnaire de la cité.
Poser la question de la parentalité, c’est forcément poser la question de la famille, de l’évolution de sa structure, de son éclatement, de ses incidences sociales.
En tant que père, j’ai évidemment la préoccupation majeure de la bonne éducation de mes enfants, et en tant qu’élu je dois assumer la mission prioritaire d’œuvrer à un bon vivre ensemble, à une société moins violente, à la réalisation d’une communauté homogène, à tout le moins sereine et prospère, d’une identité collective régénérée basée sur des individus partageant un socle commun de valeurs et d’espoirs.
Devenir adulte, c’est aussi devenir citoyen, car c’est s’inscrire dans un champ de sociabilité responsable. En tout cas il le faudrait. En cela, la question de la parentalité est bien centrale.
Même si le suffixe « ité » tue la magie de ce qui en est une : donner de l’amour et des valeurs à des enfants dont nous sommes les parents . Or, le mot « parentalité » me fait penser à « productivité », « rentabilité », etc. ; il donne une scientificité, l’impression d’une exigence froide de résultats à ce qui renvoie avant tout à une relation intime, faite d’amour et de responsabilité, d’une liberté partagée.
Nous sommes libres d’avoir des enfants. Mais symétriquement à une liberté il y a toujours une responsabilité. Nous sommes libres d’avoir des enfants et responsables de leur construction, donc de leur éducation, de leur sociabilité, j’ai envie d’ajouter comme élu, de leur future citoyenneté.
Ma grand mère maternelle, prolétaire – au sens non pas politique mais éthymologique du terme, désignant celui qui « ne possède que ses enfants » – et mère de 9 enfants, ignorait tout de la parentalité. Mais elle en savait beaucoup sur l’éducation de ses enfants, dont les conditions de vie matérielle que nous qualifierions aujourd’hui de précaires ne les ont pas empêché de se réaliser en adultes responsables, assumant des principes et sachant se construire un bonheur non aliéné par la folie consommatrice.
La notion de « parentalité » traduit un malaise social. Son apprentissage doit permettre de retrouver les repères et les fondamentaux de la responsabilité parentale, à commencer par la joie authentique qu’elle procure.
Exercer sa parentalité, savoir être parents, pour moi, c’est dire non à ses enfants.
C’est leur apprendre progressivement à gérer la frustration libératrice du désir immédiat non satisfait.
Leur apprendre à être les enfants de leurs parents et non des enfants de leurs caprices, ces insupportables enfants roi que l’on croise trop souvent, nourris mais non élevés, futurs adultes compulsifs, dépressifs et citoyens non achevés, à l’impatience clientéliste, consommateurs de services publics, à l’humeur insatisfaite.
Enfin, savoir être parent, c’est savoir couper le cordon. C’est en effet apprendre à ses enfants à s’émanciper, à vivre leur apprentissage de l’existence en construisant un projet de vie fait de rêves et de difficultés transcendées, leur transmettre la confiance en la société et en eux-mêmes, leur apprendre à partir, si possible avec beaucoup d’espérances et sans trop d’illusions.
Oui, être parent, c’est savoir regarder ses enfants partir et être heureux de leur liberté.»
David Lisnard, Cannes, le 26 mars 2011
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